Les confidences d'un escalier ...
 
 
 
Je naquis au grand siècle pour le plaisir de l'illustre famille Habert de Montmor, tant renommée dans le monde du clergé que dans celui des sciences et des lettres.
     
Mon berceau fut cet éclatant joyau que vous appelez si joliment "le château".    
     
De cette enfance empanachée, il ne me reste que de somptueux souvenirs rythmés par les passages incessants de hautes et glorieuses personnalités. Ce qui me valu le nom d' "Escalier d'Honneur" et d'être jalousement envié du petit escalier de "service" aux marches pavées de carreaux rouges, qu'empruntaient serviteurs et valets.    
     
Que de célébrités m'ont talonné pour parvenir aux étages.    
     
Aussi n'est-ce pas sans une certaine nostalgie que je me souviens des doux pas de la sémillante Marquise de Sévigné, dont les souliers satinés caressaient la pierre de mes marches. Je l'aimais bien... Il est vrai que grâce à elle, j'avais vent des "petits potins royaux" susurrés par les grands de la cour dans les corridors de l'illustre palais.    
     
Je me rappelle aussi ce jour, où je dus supporter les enjambées crottées du médecin Jean Hamon, accourant tout droit de Port-Royal des Champs, au chevet de son éminence Claude Joly, évêque d'Agen. J'avoue ne pas avoir eu la curiosité, ni surtout le courage, de chercher à savoir ce que renfermaient ses miraculeuses sacoches.    
     
Je garde en mémoire ce bien triste et douloureux moment, où je vis tous les gens du château, s'activer, allant et venant les bras chargés des caisses renfermant les effets et manuscrits du grand Gassendi, quelques temps plus tôt parti rejoindre les étoiles, qu'ici il observait.    
     
Mais aussi cette belle journée printanière qui allait réjouir tout le village et tout le territoire royal. Ce fut le 18 du mois d'avril 1634, que de tout jeunes mariés firent de ma montée un chemin de bonheur.
Elle était alors étourdissante de beauté, Anne Habert, notre nouvelle maréchale d'Estrées. Que n'ai-je alors pensé pour la postérité, à graver sur ma pierre le patronyme de toutes les sommités présentes en ce jour de grande liesse.
   
     
Puis vint la fin du dernier des messieurs de Montmor, qui allait faire de moi un orphelin et me vouer à de nouvelles destinées.    
     
L'on commença d'abord par me délaisser dans un château que l'on dépouilla de toutes ses richesses. Puis de transactions en transactions, de monarchies en républiques, je dus me résoudre aux changements successifs et nombreux de seigneurs et de maîtres.    
     
Arriva l'heure des conflits ; et bien que mes marches tout au long de ces siècles se soient usées et eurent bien vieillies, elles ne purent échapper à l'assaut des cent vingt cuirassiers blancs, commandés par le Grand Duc de Mecklembourg-Schwerin, qui envahirent le château en cette fin d'automne 1870.    
Les prières incessantes de mes maîtres d'alors, la si bienveillante et si pieuse famille Husson-Carcenac, activèrent sans aucun doute l'arrêt de ces cruelles et mortelles détonations qui, durant deux mois résonnèrent sur toute l'étendue de nos campagnes.    
     
Elles firent rapidement place aux rires éclatants des enfants, qui jusqu'alors ignoraient que moins d'un siècle plus tard, leurs propres bambins, dévaleraient dans leurs bottines d'écolier, les mêmes degrés que montait l'altière Marquise de Sévigné.    
     
Au cours de ces dernières décennies, le destin voulu à deux reprises me dénationaliser. Ainsi à l'instar de notre beau paquebot "FRANCE", je devins norvégien. Herman Gade, ministre plénipotentiaire, ayant "craqué" pour la magnificence de ma rampe en fer forgé qui conservait tout son aplomb, malgré ses longues années.    
     
A sa mort, je devins citoyens des Etats-Unis d'Amérique.    
     
Supposons un instant que le narrateur eût été né en cette année 1947 et qu'il ait eut un brin d'avarice, on peut se laisser à penser qu'il aurait choisi cette époque pour vous conter mes souvenirs. La raison ? Elle est facile - Vous ne trouvez-pas ? Bon ! je vous aide : Tout simplement parce que Milton Reynolds, c'est le nom de mon nouvel acquéreur, aurait eut, je n'en doute pas un instant, la délicatesse de lui offrir un de ces célèbres stylos, qu'ici il fabriquait.    
     
Est-ce avec l'un d'entre eux que Maître Berrurier parapha en décembre 1952, l'acte de vente qui alla faire du château et par ricochet de moi-même, non seulement la nouvelle maison communale, mais aussi un bien beau mais oh combien surprenant complexe scolaire ?    
     
Dès lors, adieu seigneurs... adieu châtelains... bienvenue à mes nouveaux maîtres... d'école, bien entendu.    
     
Aujourd'hui le tintement de la cloche, qui marquait le début et la fin des cours, s'est définitivement tue. L'école a fermé ses portes. Les pupitres ont laissé la place aux bureaux de nos administrateurs.    
     
Désormais, lorsque vous m'emprunterez :    
     

Arrêtez-vous juste un instant

   

Fermez les yeux

   

Souvenez-vous

   

et avec un peu d'imagination

   
     
Vous pourrez à l'image de la dernière scène du film de Guitry "Si Versailles m'était conté",    
     

les voir

   

tous ces acteurs de notre histoire locale, descendent mes degrés

et vous rappelez qu'avant vous ici ils sont passés.

   
     
     
© Olivier FAUVEAU - 2002    
     
     

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