Notre corsaire à la guillotine
     
     
 
     

n mai 1751, était baptisé à Amiens (Somme) Jean-Baptiste Ernest Buchère, fils unique par la mort de son frère aîné, de Jean-François, bourgeois fortuné, seigneur de l'Epinois, Président Trésorier de France en la Généralité de Champagne, conseiller du Roi.

l portait les armes familiales :

"d'argent à un chevron d'azur, accompagné en chef d'une étoile d'azur, à dextre d'un croissant aussi d'azur, à sénestre et en pointe d'un mouton de sable"

et avait adopter la devise : "Fidelis ad mortem".

   

Jean-Baptiste Ernest Buchère de l'Epinois
(1751-1794)

     
e sa petite enfance, nous ne savons pratiquement rien, sinon qu'à l'âge de 10 ans, il arrêta le latin et qu'il reçut dès 12 ans une solide formation aux mathématiques, son père le destinant à entrer dans le corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées.
Ce qui ne fut pas du goût de Jean-Baptiste, qui dès son quinzième anniversaire s'engagea dans le 6e régiment de dragons de la Reine attaché à la Compagnie de M. d'Alvimart.
     
on enthousiasme le conduit au grade de Maréchal des Logis avant d'obtenir en septembre 1770, le brevet de sous-lieutenant, grâce au colonel Emmanuel-François de Grossolles, Comte de Flamarens (v.1735-1782).
     
l'automne 1774, Jean-Baptiste Buchère de l'Epinois sert dans les armées du comte d'Artois en qualité de Porte-Arquebuse. Mais sa carrière militaire va tourner court en fin d'année 1779, suite à une violente querelle avec le Prince d'Hénin (1748-1794), sieur d'Alsace de Boussut de Chimay, capitaine des Gardes du Corps du Comte d'Artois.
Il est contraint pour lors à l'exil.
     
l décide alors de "déclarer la guerre aux tyrans" en s'embarquant en tant que corsaire-flibustier.

insi pouvons-nous compter notre héros, au nombre de ses aventuriers qui débarquèrent dans l'île de Saint-Domingue, avant d'être forcé d'émigrer dans l'île de la Tortue, au nord-ouest d'Haïti.
     
     
roisant dans le golfe du Mexique, il acquit par ce métier une somme de 300.000 livres qu'il emploiera à l'achat d'une maison "La Bombarde" à Saint-Domingue.
     
l n'oubliait pas pour autant la France et plus particulièrement Le Mesnil-Saint-Denis, où l'attendait sa femme Marie-Alexandrine Aubilliard des Ambésis et ses enfants.

n effet en 1790, après avoir navigué deux années sur l'océan atlantique, il débarqua au port du Havre, avant de regagner Le Mesnil, alors en pleins troubles révolutionnaires.
     
e 1er août 1790, les Mesnilois le nommèrent Major de la Garde Nationale, fonction qu'il remplira jusqu'en novembre de la même année, date à laquelle il fut à nouveau contraint par suites d'une lettre de cachet stipulant son expatriation, de repartir pour "la perle des Antilles françaises", ainsi dénommait-on la future Haïti, considérée comme la colonie la plus florissante du monde entier. Cette prospérité reposait sur l’esclavage. Il y avait 455.000 esclaves sur à peine 510.000 habitants en 1791.
     
l retourna à Saint-Domingue où il retrouva sa maison située dans le quartier du Mole Saint-Nicolas.

Ses affaires fleurissaient et tout permettait à Jean-Baptiste Ernest de se réjouir, lorsque l'insurrection "des nègres" survint le 23 août 1791, avec pour conséquence l'incendie de sa maison et la perte de sa fortune.
     
 

 
 

Début de la grande insurrection de Saint-Domingue

 
     
a multiplicité des camps qu'exigeait la guerre contre "les nègres" nécessitait des officiers du génie. Philibert-François Rouxel-Blanchelande (1735-1793), gouverneur des Iles-sous-le-Vent, lui confia alors le poste d'ingénieur au Camp du Haut du Cap, que Jean-Baptiste Ernest fera fortifier.

Durant cette période, il publie une loi intitulée "Moyen de remédier aux désastres de cette colonie, d'y rétablir la Paix, de faire rentrer les esclaves dans les habitations et prévenir les insurrections".
     
a guerre civile se poursuivant, Jean-Baptiste Ernest obtint en faveur des services rendus à la colonie, un passage pour son retour en France.

Il quitte Saint-Domingue le 14 septembre 1791 et après une traversée à bord du "Prospère" débarque à Nantes.
     
e 3 octobre, il arrive au Mesnil où il retrouve sa famille au château des Ambésis. Dès lors il s'occupera de l'exploitation des terres attachées à la ferme des Grands-Ambésis, dont il était le propriétaire.
     
i un certificat de résidence, délivré par la commune en 1793, nous décrit les traits de notre personnage : "Taille 5 pieds 4 pouces et demie (1 m 74) ; taille svelte moulée dans toutes les proportions ; la tête chauve ; sourcils châtains ; petits yeux enfoncés ; nez aquilin ; bouche petite ; le regard vif et fier d'un républicain ; le teint brûlé par le soleil ; le visage à demi-ovale", une très belle miniature d'époque (voir ci-dessus) nous le représente de profil et nous permet d'admirer son effigie la tête coiffée d'une perruque à bourse.
     
es responsabilités sur le plan local vont s'élargir puisqu'en juillet 1792, il sera nommé sous-lieutenant de la 1ère compagnie de la Garde Nationale, avant d'être élu Capitaine et de prêter le serment le 28 octobre de la même année.
     
l décide alors de reprendre ces activités militaires et s'adresse à Jean-Henri Hassenfratz (1755-1827) inspecteur des Mines afin d'obtenir un engagement.

Sans succès, il décide de quitter Le Mesnil en décembre 1792 pour se fixer à Paris.

Là, il s'occupera de dessin et disposera de 1.200 livres de rente sur la ville, perçues par le citoyen La Place, son cousin, homme de loi.

Il profite de son temps libre pour nous laisser des écrits sur la capitale : "Projets et sujétions" sur : "les Champs-Elysées" ; "Tuileries, châteaux et Jardins" ; "Quai de la Ferraille ou de la Mégisserie" ; "Place de la Révolution" ; "Montmartre" ; "Quai de la Vallée ou des Grands-Augustins"... et une satire sur "
Mirabeau".

   

Jean-Henri Hassenfratz
(1755-1827)

oussé par la volonté de servir la République, récemment proclamée par Danton, il sollicita le 22 mars 1793, M. de Saudemont qui, par retour de courrier lui répondit : -"La loi du 21 février 1793 relative à la désorganisation de l'armée me prive des moyens de vous obliger".
     
Jean-Baptiste Ernest est furieux. Une fois de plus, on l'empêche, lui l'homme d'action, le risque-tout, de se battre contre les despotes et le despotisme. Et bien, on va voir !
     
'est alors qu'il se trouva mêlé à une fâcheuse affaire.
     
rrêté à la fin mai 1793, il fut impliqué dans la "Conspiration des Prisons" accusé d'être complice d'Hébert (1757-1794) et "associé de Ronsin".

Le 1er juin, il comparait devant l'Administrateur du Département de Police, qui déclare avoir trouvé dans son appartement des papiers compromettant pour lui.

Jacques René Hébert (1757-1794)

   
Le 24 juillet 1793, il comparait devant le Tribunal Révolutionnaire, présidé par Jacques Bernard Montané, en présence de Fouquier-Tinville, accusateur public.

e 19 germinal An II, Antoine-Quentin Fouquier-Tinville, dresse l'acte d'accusation sur lequel figure Jean-Baptiste Ernest, en compagnie de 28 individus, parmi lesquels Jean-Baptiste Gobel (1727-1794) Evêque de Paris ; Pierre-Gaspard Chaumette dit Anaxagoras (1763-1794) Agent national de la commune de Paris ; Anne-Philippe Lucile Laridon-Duplessis veuve Camille Desmoulins (1771-1794) ; Arthur Dillon (1750-1794) général de l'armée des Ardennes, représentant des Etats-Généraux... etc...tous "convaincus" sans preuve, pièce, ni témoin, d'être "les auteurs ou complices de la conspiration qui a existé contre la liberté, la sûreté et la souveraineté du peuple, la destruction du gouvernement républicain ... et d'avoir comploté pour délivrer Marie-Antoinette et tenter de replacer sur le trône "le fils du tyran"
(Louis XVII).

   

Antoine QuentinFouquier-Tinville
(1746-1795)

     

Pierre-Gaspard Chaumette dit Anaxagoras (1763-1794)

Anne-Philippe Lucile Laridon-Duplessis
veuve Camille Desmoulins (1771-1794)

Arthur Dillon (1750-1794)

     
amené le soir même à la maison de la Conciergerie où il était emprisonné, Jean-Baptiste Ernest Buchère de l'Epinois, dut comparaître le surlendemain 21 germinal An II, salle de la Liberté, à 10 heures du matin afin d'entendre sa sentence.

Le président René-François Dumas (1758-1794) qui envoya à la guillotine Mme Roland, la Reine, Danton, Hébert...les condamna tous "à la peine de mort" et leurs biens acquis à la République.
     
e 24 germinal An II ou le dimanche 13 avril 1794, à six heures du soir, Jean-Baptiste Ernest Buchère de l'Epinois ainsi que ces compagnons que l'on appellera plus tard "les Hébertistes" ou "les Enragés", furent conduit sur la place de la Révolution.
     
n y voit l'échafaud sur lequel se dressent la guillotine et le bourreau.
     
 
 

Supplice des Hébertistes
gravure de P.G. Berthault d'après J.Duplessis-Bertaux

 
     
 

n long moment de silence... et tombe le couteau ruisselant de sang.

 
     
   
     
© Olivier Fauveau - 2004
     
     
 

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